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Thiers-Sur-Thève-AVENIR
22 janvier 2021

Le courrier du sénateur de l'Oise

 

 

L’Ane, la Cloche et le Coq

ou

la guerre des cigales

 

 

 

 

On pourrait penser aux titres de fables méconnues de Jean de la Fontaine. Pourquoi pas à celui d’un western spaghetti des années 1970. C’est en fait l’intitulé d’un récent épisode qui s’est déroulé au Sénat le 21 janvier.

Il est des lois subtilement utiles ou utilement subtiles. C’est le cas du texte « visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises », que j’ai défendu à la tribune et qui a été adopté à l’unanimité. Certains pourraient y voir une proposition de loi anecdotique, folklorique, médiatique et superflue. Elle est au contraire symbolique du sens que nous souhaitons donner à ce fameux Vivre Ensemble. Symbolique de l’attention nous souhaitons porter à la ruralité.

Cette ruralité souvent oubliée, négligée, méprisée… Cette ruralité que certains voudraient voir transformée en musée. Ces 15 millions de Français et 28 000 communes qui incarnent, certes en partie, la France d’hier, mais qui ont aussi des atouts et veulent avoir un avenir. Ces campagnes où résonnent des moteurs de tracteurs, mais aussi certains bruits immémoriaux et souvent animaux. Où quelques effluves peu raffinées viennent parfois perturber des odorats délicats.

C’est ainsi, que régulièrement, des néoruraux ou parfois des touristes mal embouchés viennent user de leurs droits devant les tribunaux ou faire le siège d’une mairie pour dénoncer des « troubles anormaux de voisinage ». Entre quelques grenouilles indisciplinées, des coqs ténors, des cloches trop matinales et des cigales craquetant trop fort, les exemples de plaintes et démarches ubuesques mais bien réelles ne sont pas si rares. Presque toujours cependant, et heureusement, les plaignants sont déboutés, et le bon sens des magistrats renvoie les Tartuffe à leur bile ridicule.

 

Quand des grincheux veulent une ruralité de carte postale, sans bruit ni odeur…

 

Néanmoins, par-delà l’anecdote, c’est une vision de notre société, une philosophie de notre Vivre Ensemble qui sont en jeu. Que veut-on donc ? Une ruralité de carte postale, sans saveur ni odeur, une ruralité policée où le coq sait se tenir, où l’âne a perdu sa voix, où les cloches sont de marbre et muettes, où le claquement des sabots sur le bitume s’est évanoui, où le crottin est inodore, où la transhumance ne carillonne pas et n’inonde plus les routes de son écume de toisons…

Que veut-on donc ? Une société où l’individualisme exacerbé, l’isolationnisme aveugle triomphent ? Où l’on ne vit plus ensemble, mais côte à côte, hermétiquement séparés ? Où « l’agribashing » prospère ? Où les relations sociales se judiciarisent de plus en plus ? Où l’on veut faire table rase de nos héritages millénaires, naturels et civilisationnels au nom d’une modernité égoïste et intolérante ?

Le patrimoine, c’est ce que nous ont transmis, légué, offert nos pères. C’est une part profonde, ancestrale, authentique de notre identité. Ce patrimoine est naturel, minéral, monumental. Il peut être aussi sensoriel. Proust et sa madeleine nous l’ont appris. Quant aux sens, c’est ce que possèdent toutes les créatures mais que seul l’homme sait universellement sublimer. Souhaite-t-on donc devenir des mannequins robotisés, déshumanisés, déracinés, calfeutrés dans un environnement aseptisé, clinique, de science-fiction ?

Comme la campagne, l’état de droit a ses charmes. Et ses méfaits. Probablement est-il regrettable de devoir passer par la loi pour protéger notre patrimoine sensoriel rural. Mais c’est ainsi. Et désormais, les grincheux verront leur accès limité vers les tribunaux, et nos maires y gagneront un bouclier de sagesse et de tranquillité. Une nuisance juridique de moins ! Tant mieux ! Et tant pis pour ceux qui se bouchent les oreilles et le nez à la campagne.

 

 

 

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